Par Daniel Psenny, correspondant du Courrier d’Europe centrale en Hongrie et ex-journaliste du Monde.
Comme toutes les gares du monde, celle de Keleti (la gare de l’Est) au cœur de Budapest invite au rêve et au voyage. Devant cette immense façade datant de 1884 avec son horloge centrale et cette grande esplanade en forme de forum, on se sent immédiatement emporté vers le lointain. Et, en déambulant sous cette verrière qui abrite les quais, ces salles d’attentes un peu désuètes, des panneaux d’affichages à l’ancienne et des trains pas comme les autres, on embarque volontiers pour Prague, Vienne, Bratislava, Belgrade ou Munich. C’est ici, à Keleti, en ce mois d’août 2015, après treize heures de train, que j’ai débarqué de Paris pour commencer à prendre des repères en vue de mon installation à Budapest.
Mais, si j’avais pu voyager dans des conditions confortables, ce n’était pas le cas de milliers de réfugiés qui, en ce début septembre, après avoir fui, souvent à pied, les guerres et les persécutions en Syrie et au Moyen-Orient, avaient décidés de s’installer dans la gare de Keleti malgré l’hostilité du premier ministre Viktor Orban d’accueillir les migrants sur le sol hongrois.
A peine arrivé à Budapest, j’étais donc confronté à la politique de Viktor Orban et à cette étrange « démocrature » hongroise dénoncée dans les médias européens. Mais, à la différence de la France qui « nettoyait » à grands coups de lacrymogènes et de matraques les regroupements de réfugiés arrivés à Paris, je constatais qu’il n’y avait aucun déploiement policier démesuré autour de la gare. C’était très calme. Les journalistes n’étaient pas refoulés et les associations pouvaient faire leur travail d’entraide sans être inquiétées. Sans hésiter, je décidais de passer mes journées et une partie des nuits dans Keleti aux côtés des réfugiés. Mon premier reportage en Orbanistan !
Le parvis de la gare Keleti à Budapest - Août 2015. © Daniel Psenny
La plus grande crise migratoire de ce début de XXIème siècle
Assis à même le carrelage ou sous des tentes pour les plus chanceux, couchés dans des couvertures de fortune, assoiffés, affamés, humiliés, ces hommes, femmes, enfants et vieillards en détresse s’entassaient dans des conditions indignes, rendues encore plus dégradantes par les fortes chaleurs qui sévissaient (déjà) sur l’Europe centrale. Quelques-uns s’exprimaient dans un anglais approximatif. En parlant avec eux, on comprenait qu’ils avaient emprunté « la route des Balkans » remontant par la Turquie, la Grèce, la Macédoine, la Serbie et la Hongrie, porte d’entrée dans l’Union Européenne et l’espace Schengen. Ils évoquaient les centres d’accueil de la zone frontalière avec la Serbie en parlant de « prisons » et de « Guantanamo ». Le 29 août, la Hongrie avait achevé la construction d’une barrière de fils de fer barbelés le long de la frontière, censée empêcher son franchissement. Une palissade de quatre mètres de haut devait encore être construite le long des 175 kilomètres qui séparaient la Hongrie de la Serbie.
Malgré les directives européennes qui demandaient à ses pays membres d’accueillir leur quota de migrants, Viktor Orban, inflexible, revendiquait un retour à des prérogatives nationales en matière d’immigration au sein de l’UE. Il avait même fait voter plusieurs lois ciblant les migrants et les réfugiés, dont celle promulguée le 4 septembre, prévoyait des peines de prison pour le franchissement illégal de la frontière et des condamnations sévères en cas de détérioration de la clôture.
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