Par Clara Marchaud, correspondante du Courrier d’Europe centrale en Ukraine.
Depuis plusieurs semaines, en cette mi-février 2022, la télévision comme les journaux ne parlent que d’une chose : comment se préparer à une invasion. Que mettre dans une valise d’urgence, dans ses réserves de nourriture ? Où sont les bunkers les plus proches ? Une conversation difficile à imaginer en Europe, au XXIème siècle. Assises avec Anastasia, ma colocataire dans la cuisine de notre appartement d’Obolon, un quartier du Nord de Kyïv, autour d’un thé, nous abordons la question sur le ton de la blague. Après tout, nous sommes toutes les deux journalistes – elle pour la télévision ukrainienne, moi pour les médias français – nous devrions être les mieux préparées, non ?
Le quartier d'Obolon - Copyright : Clara Marchaud
« Et si ça arrive, on fait quoi ? » La guerre, un mot un peu trop grand pour nous à l’époque. Nous avons en tête les bombardements des films d’action fantaisistes. La cave en bas ? Humide, sans sortie sur l’extérieur. Le sous-sol de l’école à côté ? Pas sûre qu’elle reste ouverte en cas de conflit armé, comme promis. « On ira se réfugier dans le métro, à sept minutes à pied top chrono, on fait un petit sac d’urgence au cas où et on arrête d’en parler parce que ça me stresse », lance Nastya (diminutif d’Anastasia). Nous balayons l’hypothèse d’une invasion d’un revers de main, en reprenant une gorgée de thé. En regardant par la fenêtre de l’appartement du neuvième étage, situé à l’orée de la capitale, nous songeons : « en tout cas, si la guerre arrive, on sera les premiers à le savoir ». Au loin, depuis le neuvième étage, la forêt s’étend jusqu’au Belarus. Là où quelques-uns des 150 000 soldats russes se préparent à attaquer l’Ukraine.
Quartier modèle soviétique
Obolon est un quartier relativement nouveau. Construit dans les années 70 sur une plaine asséchée – ce que signifie son nom – le quartier accueille près de 310 000 résidents, plus qu’une ville régionale comme Kherson. Le raïon constitue un véritable mélange social et architectural, entre les nouveaux riches dans des complexes luxueux près du métro et la grande majorité de classe moyenne ayant reçu gratuitement pendant l’URSS des appartements dans des immeubles de six à dix étages à l’image de mon appartement. Ces barres d’immeuble de neuf étages, appelées Khrouchtchevka car les constructions ont commencé à l’époque de Khrouchtchev dans les années 1960, pourraient être des modèles de l’architecture soviétique. Des barres d’immeuble grises, monotones, avec la même peinture bleu ciel délavée du pod’yezd – l’entrée – et les balcons en bois rajoutés à la main par les propriétaires.
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