Correspondant·e·s

Battement d'ailes ou tsunami - cet événement est resté ancré dans leur mémoire de journaliste. Chaque mois, un correspondant du Courrier d’Europe centrale raconte une journée marquante de sa vie pro.

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Par corentin leotard
14 nov. · 6 mn à lire
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Chiens errants et négligences médicales : lorsqu’un reportage sur le delta du Danube se termine aux urgences

Chaque mois, un correspondant partage un événement qui a marqué sa vie professionnelle. Battement d'ailes ou tsunami - l'épisode qui suit est resté ancré dans sa mémoire de journaliste. Aujourd'hui, Marine Leduc, correspondante en Roumanie, nous raconte - à travers sa quête d'un vaccin antirabique - un système de santé malade.

Par Marine Leduc, correspondante du Courrier d’Europe centrale en Roumanie.

Avant de s’aventurer dans le delta du Danube, là où les villages ne sont accessibles qu’en bateau à travers un labyrinthe de canaux, il faut passer par Tulcea, ville roumaine d’environ 90 000 habitants. Elle est située sur le bras de Sulina, une des trois branches qui se déverse ensuite dans la mer Noire. Du haut du petit studio que je loue pendant quelques jours pour un reportage, j’observe le ballet incessant des bateaux à moteurs, des pêcheurs sur la corniche, et surtout des cargos qui entament leur route dès le lever du soleil. Au loin, la nuit, je peux apercevoir les lumières du port d’Izmaïl, port ukrainien du Danube

Depuis le début de la guerre voisine, ce territoire aux airs du bout du monde est devenue hautement stratégique. Les ports maritimes ukrainiens étant bloqués, l’exportation de céréales ukrainiennes et d’autres marchandises se fait en grande partie par les ports danubiens. En cette fin août, cela fait un mois que les ports ukrainiens du Danube sont visés par des attaques russes, à 200 mètres de la Roumanie. Je réalise alors des articles sur les conséquences directes et indirectes de la guerre dans le delta, notamment sur les villages frontaliers, l’économie locale et l’environnement. 

Le Danube vu du studio loué à Tulcea pour le reportage - Copyright : Marine LeducLe Danube vu du studio loué à Tulcea pour le reportage - Copyright : Marine Leduc

Mais ce séjour ne se termine pas comme prévu. Après trois jours d’interviews, je décide de prendre une pause et me promener. La chaleur est tombée et le soleil s’engouffre lentement derrière l’horizon. La corniche de Tulcea, que j’ai déjà parcourue de long en large à chacun de mes passages dans la ville, a peu de charme. Elle est longée par des immeubles communistes décrépis, parkings et hôtels sans éclat. Je décide alors de trouver un autre point de vue, donner une seconde chance à cette ville et m’aventurer sur la butte derrière la mosquée, avec ses méandres de ruelles pavées.

Alors que je marche sereine dans une rue en hauteur, je suis stoppée net par des aboiements stridents derrière moi. Tout se passe très vite. Un petit chien noir caché sous une voiture sort précipitamment et me mord la cheville gauche, alors dénudée. Puis, il essaie d’attraper l’autre cheville mais j’arrive à le repousser d’un coup de savate. J’ai le temps de voir qu’il s’agit d’un chien errant, hirsute et sale, sans collier ni badge à l’oreille. La Roumanie compte des milliers de chiens errants et la plupart ont été affublés de ce bout de plastique numéroté, ce qui signifie qu’ils ont été pris en charge par des vétérinaires. C’est la première fois que je me fais mordre par un chien, et je suis paralysée pendant quelques secondes, ne sachant pas comment réagir.

“Si après une morsure, la personne ne se vaccine pas pendant les premières 48 heures et qu’elle contracte la maladie, il n’y a pas de voie de sortie. La rage est 100 % mortelle.”

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